17 mars 2017
Magnifique printemps des poètes suite
En ces jours de sacre du printemps des poètes, je voudrais saluer la poésie d’Anne Sibran à qui je dois le plus beau voyage qui m’ait été donné à vivre cet hiver à la lecture de l’enfance d’un chaman paru en janvier 2017 dans l’excellente collection Haute Enfance chez Gallimard.
Je suis l’enfant du fleuve
D’un peuple cent fois mort
Mais qui toujours renaît.
Le fils de l’homme à la sarbacane
Le grand souffleur d’oiseaux,
Le fils de la femme- fleur,
Mordue par le serpent.
Je suis l’enfant des ruisseaux
Sauvé par la loutre,
Lucero tanguila
Né le jour du volcan,
Le neveu de l’homme tigre,
Qui mord le cou des panthères
Et plante les enfants
Dans le ventre des femmes
Qui lui portent une soupe.
Je suis celui qui s’est dressé
Devant le fauve aux yeux luisants.
Celui dont la mort n’a pas voulu,
Ce soir,
Celui dont la mort ne voudra pas !
Dans ce magnifique récit entre conte et témoignage, j’apprends que la forêt amazonienne est aussi fertile de l’âme humaine que de l’âme animale, que la parole sacrée des indiens y chante et guérit .
J’apprends comment ce peuple enfoui tente de résister depuis des siècles aux prédateurs blancs, aux compagnies pétrolières.
Dans cette forêt, tout est signe, le chant de l’eau comme le chant des arbres. Anne Sibran est entrée, il y a plusieurs années dans la langue de ceux qui sont devenus siens, le Quechua, elle est entrée dans la réalité, l’histoire et l’âme de ce peuple en équateur où elle vit le plus souvent possible.
Le chaman me voyait toujours écrire, noter des choses dans mon carnet. Lui ne sait ni lire ni écrire, pour lui, l’écriture est de l’ordre de l’humiliation : dans le système équatorien, les gens qui ne savent pas lire ne sont pas respectés. Il me dit : « que mets-tu dans tes carnets ? » et comme il le dit fort, comme pour s’excuser, il me dit encore : « je n’ai pas les yeux pour le livre » et je lui réponds « si tu n’as pas les yeux pour le livre, moi je n’ai pas les yeux pour la forêt ».
Avoir grandi au milieu des arbres et des champs, avoir touché du bois toute mon enfance, avoir cru dans les arbres, du verbe croire et du verbe croître, me donne le droit d’affirmer qu’Anne Sibran révèle dans ce livre l’essence même de la forêt. Son écriture toute imprégnée de cette lymphe végétale donne au récit entier une respiration qui ne faiblit jamais .Une écriture vivante qui fait entrer en nous la parole de Lucero, cet enfant chaman donné à la forêt, aux tigres, aux biches rouges, au fleuve, au volcan, apparu dans un corps d’homme, disparu dans la bête, ressurgi dans l’humain pour n’en sauver ni l’apparence ni la vanité mais pour que la forêt continue d’exister, inviolable.
Plonger de la falaise, c’est entrer d’abord dans cette tiédeur saturée de parfums : l’haleine de la forêt. Il y a toujours cette expiration un peu tiède qui flotte au-dessus des arbres et qui se montre parfois, dans une brume effilochée.
Mais, perçant le rideau des feuilles, la lumière s’interrompt. L’air s’épaissit. Les odeurs viennent cogner lourdement et repartent. La terre lui faiblement comme un ciel renversé.
Et partout cette musique, tendue les branches, dans les fils de lumière et dans les gorges d’ombre : cette vibration portée de gueule en gueule, amplifiée aux froissements d’un élytre, d’un cri rauque, d’un roulement dans le cou d’un oiseau.
A chaque instant la forêt est épaisse de ce qu’elle s’apprête à dire, ou bien de ce qu’elle tait. Tout parle, sous les mousses, au coude d’un vieil arbre. Même le parfum au ventre de la fleur est un mot prononcé.
Cette acoustique singulière, cette luisance mystérieuse sur le dos des rochers, n’existent pas partout avec la même insisté dans la forêt, mais seulement dans certains endroits, où l’homme n’aura plus le droit de pénétrer par la suite. Ce sont les portes, ces passerelles entre les mondes, où habitent les esprits.
Je ne peux que vous recommander de venir écouter Anne Sibran ce soir!
ENFANCE D'UN CHAMAN
RENCONTRE - DISCUSSION
Anne Sibran
Vendredi 17 mars à 19h
Librairie Raconte moi la terre
14 rue du Plat 69002 Lyon
07:00 Écrit par Paola Pigani dans Des livres, Poésie, Voyage | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : anne sibran, raconte moi la terre, l'enfance d'un chaman
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