13 mars 2018
La stupeur oubliée de vivre
(...)
chaque chambre est le centre du monde,
est la première nuit, le premier jour,
le monde naît lorsqu’elle et lui s’embrassent,
goutte de lumière aux entrailles transparentes
la chambre comme un fruit s’entr’ouvre
ou éclate comme un astre taciturne
et les lois rongées par les rats,
les grilles des banques et les prisons,
les grilles de papier, les fils de fer barbelés,
les timbres, les épines et les piquants,
le sermon monocorde des armes,
le scorpion mielleux à barrette,
le tigre à gibus, président
du Club végétarien et de la Croix-Rouge,
l’âne pédagogue, le crocodile
jouant au rédempteur, le père des peuples,
le Chef, le requin, l’architecte
de l’avenir, le cochon en uniforme,
le fils préféré de l’Eglise
qui lave sa noire denture
avec de l’eau bénite et prend des leçons
d’anglais et de démocratie, les parois
invisibles, les masques pourris
qui séparent l’homme des hommes,
l’homme de lui-même,
s’écroulent
pendant un instant immense et nous entrevoyons
notre unité perdue, la détresse
d’être, la gloire d’être encore,
le partage du pain, le soleil, la mort,
la stupeur oubliée de vivre
(…)
Octavio Paz
Mexico, 1957
Traduit de l’espagnol par Benjamin Péret
23:04 Écrit par Paola Pigani dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : octavio paz
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