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20 mai 2014

Déambulation dans les camps

 

 

Déambulation : dans les camps

 

Comme il y a des livres qui sont une porte ouverte sur le monde, le roman de Paola Pigani se situe sur le seuil d'une histoire tabou. À partir de quelques confidences, mais si peu, l'auteure imagine ce qu'a pu être la vie d'une jeune fille manouche internée de 1940 à 1946 dans le camp de concentration des Alliers près d'Angoulême. Entre le mépris des sœurs charitables et l'hypocrisie administrative, Alba et les siens se serrent les uns contre les autres. En poète, Pigani traque la vie, la liberté, « l'étincelle du voyage » et livre des images folles comme la marmaille hystérique qui court dans le pré, sortie du camp grâce à la ténacité de quelques-uns, libres et vivants malgré l'ambiance de peur et de rejet.

Le roman achevé, la tête bourdonne confusément... Il faudrait répondre aux questions soulevées avec les historiens, Jacques Sigot, Emmanuel Filhol, à commencer par la première d'entre elles, lancinante : pourquoi jusqu'en 1946 ? Comment le gouvernement français a t-il justifié cette prolongation de plus d'un an ?

Mais la littérature, que dit-elle encore ? Je lis "Gitans", une BD de Kkrist Mirror, pour comprendre pourquoi Monsieur Renard, un survivant en chair et en os, s'accroche à cette idée que si la France lui avait au moins versé une indemnisation pour les pertes dites matérielles (rien moins que la verdine, le cheval), il serait descendu aux Saintes-Maries-de-la-mer.
Du même auteur, je lis "Tsiganes". Centrée sur la figure historique de l'abbé Jollec, curé rouge et résistant, la narration à la fois sombre et lumineuse insère l'internement des Nomades au camp de Montreuil-Bellay dans l'histoire plus large et tout aussi trouble de l'époque, celle des fausses résistances et des vraies collaborations.

Munie de l'Atlas des Tsiganes et de témoignages directs ou indirects, je n'ai bientôt plus de doute quant au comportement de la France pendant ces années noires, comme un écheveau crasseux tiré par un bout qui dépassait du tas.

Les Manouches, Gitans, Sintí ou Yéniches n'avaient pas vocation à reprendre la route. Arrêtés parce qu'ils constituaient une menace en temps de guerre, enfermés pour leur propre bien dans des baraquements démunis de tout afin de leur apprendre les vertus de la vie sédentaire, il fallait se débarrasser de cette population gênante.
Mais ils ne meurent pas, pas tous. Puisque c'est comme ça, la patrie reconnaissante gardera un silence coupable. Aujourd'hui encore le tabou demeure, ce ne sont pas les quelques stèles commémoratives dues à de vaillantes initiatives locales qui contrediront cette absence de reconnaissance nationale. Derrière celle des Alliers, on aperçoit le gazon verdoyant d'un terrain de golf...

Mais "le silence ne sera qu'un souvenir" écrivait Laurence Vilaine il y a quelques années, comme une incantation lancée aux gouvernements, à l'Europe des Peuples. Dans ce roman éponyme à la fois lourd et transcendant, le silence rompu n'est pas celui des États mais celui du narrateur tsigane qui vivait avec son clan le long des rives du Danube. Il soulage sa mémoire de l'histoire d'un désastre : l'amour, l'art et la beauté, brisés par la violence nazie.

D'un roman à l'autre, il y a la permanence d'une parole rare et méfiante qui a du mal à exister au sein d'un monde qui ne lui cède qu'une place de paria. Aujourd'hui encore, le Droit National ou Européen maintient la pression, une nouvelle catégorisation administrative apparaît qui poursuit l'objectif de sédentarisation forcée. Elle se nomme Minorité Ethnique Non Sédentarisée (MENS).

Je voudrais juste maintenant m'appuyer sur les propos de l'historienne Claire Auzias : « En ces temps de juridisme tout-puissant, où nulle pensée ne peut s'exprimer si elle n'est estampillée Droit (droits de l'homme, loi, légalité, droit international), où les juristes font la pluie et le beau temps, Shérer, par la plume de Proudhon nous rappelle ceci : il y a mieux que le droit : l'hospitalité. » 
Et je voudrais mettre cette philosophie de vie en regard d'une confidence de Monsieur Renard, c'est qu'on ne construit rien sur la haine.
À bon entendeur, salut !

Nathalie Jaulain