Guillevic 2016linoines la renouée aux oiseaux UA-98678848-1

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

12 septembre 2012

...encombrés de bonheur et de disparitions...

 

 

 

Souvent. Nous ne gardons en mémoire qu’un courant d’air sur une place vide, l’écaille d’une peinture dans une chambre, en voyage. Une imperfection dans un paysage, comme cette tôle debout et qui blesse un figuier. Lorsque le désir pour une femme a été si dense nous pouvons nous souvenir du regard porté sur une pierre, sur un buisson ou sur la bouche bleue d’une fenêtre plus que de son corps. Ou alors une partie de son corps comme une aile de nez. Le voile de ses yeux. L’ombre courte d’une hanche. L’odeur de son intimité. Phéromone lorsque tu nous tiens ! Nous pouvons reconnaître un escalier dans une ville étrangère par son odeur désagréable et en éprouver du plaisir alors que la soirée pour laquelle nous l’empruntions est tombée dans l’oubli avec ses convives. Souvent une fraicheur matinale nous revient de corse, de Rome. Un ciel soufré new-yorkais. Le glacé d’une rivière dans le Jura. Maintenant les pieds nus d’une femme sur une chaise au Mali. Un cadavre de blaireau dans un bois à Bergerac après l’enterrement d’un parent. Une tache de vin étoilée sur un mur et l’enfance apeurée, plaquée dans le coin d’une cuisine en région parisienne. Une pleine lune en Anjou et le bruit d’une femme qui se retourne dans son lit, dans la chambre d’à côté. Nous gardons imprimée dans nos sens la pièce que nous n’avons pas donnée à une vieille mendiante souriante gare du nord à Paris. Un baiser sans suite dans l’adolescence à Genève .Nous ne  nous débarrasserons pas, jamais, de certains petits compliments comme de certaines petites injures, anodines pourtant, les yeux rivés sur une plaque d’égout. Par les yeux nous gardons mémoire de ce monde. Par les reins et le nez. Par le sexe bandé nous gardons mémoire de certains feuillages et de foins coupés. De ventres tourmentés. Par la peau, le vent et l’eau, les doigts de la mère, d’un ami, d’une femme. Nous allons encombrés de bonheur et de disparitions. Nous devenons des êtres à part entière, impulsion électrique, dans le cerveau d’un autre. Mémoire de l’homme. Nous participons de l’addition.

 

Joël Bastard  Derrière le fleuve

 

18:03 Écrit par Paola Pigani | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : joël bastard

Les commentaires sont fermés.