06 janvier 2013
Leurs pas résonnent dans le vide...
(…) Leurs pas résonnent dans le vide et le silence. Il n’y a personne sur le seuil des baraquements, personne dans les travées gelées. Louis écoute les toux rauques, les pleurs de bébé, quelques voix emmêlées. Des tuyaux rouillés enchâssés dans les toits d’Evrite crachent des fumées grises. Les vêtements sur le fils de fer raidis par le gel laissent deviner des silhouettes fantomatiques qui tremblent dans l’air glacé. Quelle heure peut-il être ? Ce ciel sans couleur existe-il ? Pas une percée de soleil. Rien dans l’air qui exalte un peu de lumière ou de chaleur. Les heures s’étirent aqueuses et hasardeuses dans cette absence de repères et de heurts. Louis marche toujours ou plutôt déambule. Ses pas suivent à présent le bon vouloir du cheval qui se laisse lui-même aller au rythme errant de son maître. Qui des deux attend l’autre ? Pour finir d’entrer dans ce cercle obsessionnel ? De fait, ils tournent en rond. Le temps n’a plus d’échappée mais l’un est la preuve vivante de l’autre. Preuve que leur ailleurs n’est pas mort. Preuve que dans les deux écuelles de leur cœur clapote un sang encore chaud qui nourrit l’autre. Preuve qu’entre leurs yeux noirs charbonneux, il s’écoule une tendresse qui les abreuve au plus profond de ce désert. Le jour tombe doucement. Les pattes du cheval, décharnées, s’obstinent à suivre la cadence des jambes de Louis qui martèlent le sol dur, lui renvoient un écho mat et délicat les invitant tous deux à entrer dans la nuit. Seul le fracas du train Paris-Bordeaux vient rivaliser quelques minutes avec leur marche crépusculaire. Des lumières éclairent la voie ferrée, rendent plus dure encore la désolation des baraques, autant d’îlots de charbon dans la brume nocturne qui descend sur le camp (…)
Extraits de N’entre pas dans mon âme avec tes chaussures. Paola Pigani
11:35 Écrit par Paola Pigani | Lien permanent | Commentaires (0)
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