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28 avril 2013

Les aveugles

LES AVEUGLES

 

 

Un poète lit ses poèmes à des aveugles.
Il ne pensait pas que ce serait si difficile.
Sa voix se trouble.
Ses mains tremblent.

Il ressent comment chaque phrase
est soumise à l’épreuve des ténèbres.
Le poème doit se débrouiller tout seul,
sans lumières, sans couleurs.

Dangereuse expérience pour les étoiles du poème,
l’aube, l’arc-en-ciel, l’inconsistance des nuages,
la lumière des néons, le clair de lune
le scintillement argenté du poisson dans l’eau.
le vol silencieux de l’aigle dans ses hauteurs.

Le poète lit - il est trop tard pour ne pas lire -
un enfant au pull jaune dans une prairie verte,
les innombrables toits rouges au fond de la vallée
le tourbillon des numéros sur le maillot des joueurs
une femme infiniment nue par la fente d’un porte.

Il voudrait bien taire - mais c’est impossible -
la saints alignés sur le porche de la cathédrale,
les gestes d’adieu échangés par la fenêtre d’un train,
les verres du microscope, le chatoiement d’une bague
le cinéma, les miroirs, les portraits dans l’album.

Mais les aveugles ont beaucoup de gentillesse,
de tact et d’indulgence.
Ils écoutent, sourient, et applaudissent.

Il y en a même un qui vient trouver le poète
une livre à la main ouvert à l’envers
pour lui demander un autographe invisible.

 

 Wislawa Szymborska

12:14 Écrit par Paola Pigani dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : wislawa szymborska

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