14 mars 2017
Les chantiers du silence
Je m’appelle José, je m’appelle Moktar
Je m’appelle Lino, je m’appelle Mirko
Aujourd’hui, j’ai laissé mes chaussures de chantier sur un trottoir
Je suis parti pieds nus à la recherche de Molière.
©paolapigani
Ceci n’est pas un poème
La clause Molière voudrait éviter le recours abusif aux travailleurs détachés.
Qui fera la ronde sur les chantiers ?Des vigiles blanchis, des fonctionnaires ? Pour dénoncer qui ?Les chefs d’entreprises du BTP ?Les ouvriers ?Le français devient-il une nouvelle frontière, un mur de la honte que ne doivent plus franchir les travailleurs des Balkans , du Maghreb, de l’Europe entière, les travailleurs pas chers, qui ont assuré la santé du BTP depuis des décennies pour ne pas dire un siècle ?
le port du casque est obligatoire
le port des chaussures de chantier est obligatoire
le port du gilet de sécurité est obligatoire
Le port de la langue Française est obligatoire
Le port des papiers est obligatoire
Faudra-t-il avoir aussi des mains blanches ?
Faudra-t-il faire preuve de transparence ?
Faudra-t-il finir pas être muet ?
N’avoir qu’un corps
Bouche cousue et langue des signes
Travailleurs détachés quelle est cette langue essoufflée, technocratique qui use de tels mots pour désigner ceux qui depuis des lustres ont bâti les cités, les hôpitaux, les universités et continueront, venus de toute part à monter des murs, des barrages, des usines, des prisons ?
Les travailleurs immigrés des trente glorieuses sont devenus travailleurs détachés depuis peu, bientôt on fondra leur identité même dans une nouvelle expression, exécuteurs patentés, reconnus aptes au français, reconnus aptes à exécuter leurs tâches, reconnus aptes à ne rien dire.
Les maçons de la Creuse , les italiens, les arabes ,les portugais les polonais les français avec leur argot, n’ont-ils coulé que leur force et leur fatigue dans le ciment, le mortier , la boue des chantiers ?
De quoi étaient - ils détachés, eux ?De la guerre , de la misère, de l'économie de marché ?
N’ont - ils pas injecté dans la langue de Molière ce qu’il faut pour qu’elle ne meurt pas d’anémie : le patois, l’argot, la langue des soupirs, de la colère, les jurons, la poésie , une langue qui rit ,qui gueule, qui a recours à la langue du pays pour résister à toutes fatigues et toutes les humiliations ?
Audiberti, Cavana, Thierry Metz , Erri De Luca et tant d’autres l’ont entendu cette langue des chantiers, ils l’ont portée, l’ont secouée, l’ont rendue car elle témoigne de le vitalité de notre langue à tous .
Tu sais que toujours
un parmi nous
s'absente
pour habiter sa clarté
sa langue
poète ou manœuvre
convives d'un mot
illuminé
Thierry Metz
Journal d'un manoeuvre
Thierry Metz
15:44 Écrit par Paola Pigani dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : clause molière, thierry metz, erri de luca, cavanna
Commentaires
http://houdaer.hautetfort.com/archive/2017/03/14/clause-moliere-5921176.html
Écrit par : F. | 16 mars 2017
Oui des slogans en anglais pour les chantiers de la vulgarité et ce bleu blanc rouge qui fait mal aux yeux...
Pao
Écrit par : paola | 17 mars 2017
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