02 mars 2017
Venus d'ailleurs
Venus d'ailleurs sort aujourd'hui dans la collection Piccolo
Mustapha Harzoune a écrit il y a quelques mois un bel article que j'ai le plaisir de partager ici:
1999, Mirko et Simona, le frère et la sœur, débarquent à Lyon, en demandeurs d’asile attirés par la lumière du triptyque républicain. Ils ont fuit la guerre et les persécutions en Albanie. Comme tous les exilés, ils portent le poids des abandons et de la culpabilité. Partir c’est aussi “trahir les siens”. Très vite, ils se débrouillent. S’activent. Chacun avec ses fantômes. Mirko travaille sur un chantier, Babel de l’humanité en bleu de travail. Simona est employée dans un magasin discount. Si la sœur se projette avec frénésie dans l’avenir, le frère reste hanté par le souvenir de son neveu, et par son frère qui a rejoint les rangs de l’UCK. “Moi, je me regarde dans le miroir de la France et je me trouve jolie” dit Simona, quand Mirko s’aventure dans les “zones” tristes et reculées de la ville. Il bombe sa solitude à coup de graffs, “comme des cris qui tiennent sur les murs écaillés”. La friche des graffeurs et muralistes, usines désaffectées et murs à l’abandon, c’est la galerie à ciel ouvert où se figent des mondes disparus, défaits, celui de l’exilé, celui des ouvriers. Simona avance ; et vite. Cache ses souvenirs, dissimule sa tristesse dans une langue qu’elle seule comprend. Mirko, lui, disloqué, traine. Pourtant, magie de l’art, de la littérature et de l’amour, il reste sensible au monde qui l’entoure. Chez Pierre, il rêve devant un atlas. Le libraire lui offre un Prévert, un Cendrars, lui parle de René Leynaud. La poésie comme ouverture à soi et aux autres. Il rencontre Agathe qui, dans une formule shakespearienne, se veut rassurante : “Si je te mords, tu as mal, tu cries. C’est la preuve que tu es vivant. LA PREUVE.” Quand pour Mirko, cette preuve est dans cet amour qui, “le temps d’une étreinte fait oublier l’hiver, les étrangers, la France, l’Albanie, le Kosovo…”.
Venus d’ailleurs n’assène pas de réponses bien ficelées aux questions du moment, mais offre – beauté et hauteur de la littérature – de saisir la part humaine, l’imprévu, de réinventer et pourquoi pas de transfigurer le réel. Cette littérature ne cherche pas à changer le monde. Juste à enrichir les perceptions, élargir les regards, raconter les interstices du monde et sa part rêvée. Elle lave les bouches et les âmes de ce goût de cendres laissé par les mots des phraseurs télévisuels adeptes du chiffre-roi, des bréviaires et des vade-mecum. Paola Pigani raconte sans posture. En douceur, elle façonne, image après image, le tout composite, contrasté de l’exil. Elle n’évite pas les sujets difficiles comme ce passage sur les Roms ou celui sur la concurrence des misères. Malgré les peurs et les ressentiments, il doit rester la solidarité des humbles. Qui plus est à Lyon, l’autre personnage du récit, où sont nées nombre d’associations de solidarité. Paola Pigani multiplie les registres du langage, joue avec les prononciations et les malentendus. Les temps et la conjugaison traduisent les tempéraments. Les mots forment une ligne tendue vers l’intime. Comme ce “revenir” qui chez Mirko “restera un caillou dans son estomac. Un mot sans repos qui ne le laissera jamais en paix.
Mustapha Harzoune
Paola Pigani Venus d’ailleurs Paris, Liana Levi, 2015
Revue Hommes et Migrations numéro 1314- 2016
07:34 Écrit par Paola Pigani dans Des livres | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : venus d'ailleurs, liana levi, hommes et migrations, mustapha harzoune