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22 mars 2019

Des orties et des hommes lecture de Maryse Vuillermet et Henri Brosse

 

Fini de lire cette nuit de pleine lune le troisième roman de  mon amie Paola Pigani , Des orties et des hommes  et  je ressors très secouée, emballée et admirative .

C’est l’enfance de Pia qui  vit avec ses parents venus d’Italie pour « faire souche » en Charente,   dans les années 70 et ses quatre frères et sœurs, le père exploite en fermage une ferme  de vaches laitières.

C’est une enfance libre et heureuse malgré les travaux pénibles, ramasser la caillasse, le bois,  aider le père à l’étable,  la mère à faire le beurre,  la cuisine, une enfance pauvre, jamais un vêtement neuf, jamais une sortie, mais la joie du père et son espoir, l’amour de la mère pour tous  irriguent chaque instant. Le père paysan-ferrailleur qui trouve  avec ses enfants des trésors dans les décharges,  rachète quelques méchants bouts de terre que personne ne veut, fait construire une maison neuve à côté du vieux bâtiment qu’il a en fermage, lutte contre les dettes, le crédit agricole,  les conseils de son fils formaté par le lycée agricole et chante toujours en italien.

J’ai été très touchée par  la puissance de l’ écriture poétique,  une image  dans chaque phrase, pour dire et  irriguer de beauté   un monde dur, trivial justement,  l’agonie  des dernières petites exploitations dont les chefs se suicident ou craquent et s’en vont, un monde « où tout se sait et tout se tait » le voisin Aboyeur  qui terrifie son fils Christophe, l’autre  voisin,  Joël,  le bossu dont la ferme brûle, mais jamais une plainte, des personnages rayonnants de bonté,  la nonna  et ses merveilleuses mains de couturière, son renard ramené d’Italie, qu’elle porte fièrement sur l’épaule à l’église, ses chèvres joueuses,  Armande, et ses orties, les sœurs et leurs rêves, aucun personnage n’est simple,  tous ont une richesse intérieure, un rêve, l’amour des bêtes, un mystère aussi .

Le regard de l’enfant devient celui d’une adolescente des années 70, la poésie  qu’elle écrit ou recopie sur son cahier, les lettres d’un Poilu trouvées dans une maison à vider, les lectures, les rencontres au pensionnat ouvrent son univers.  La sécheresse de l’été 76, l’envie de fuir « cette terre, où l’on n’a pas de morts »  où l’on est toujours un peu étrangers comme les manouches,  comme le Portugais ou les turcs ouvriers agricoles, l’envie de parler au garçon à l’harmonica,  sont autant de signes de  la fin de l’enfance.

C’est un roman très riche, foisonnant  de  thèmes,  les rapports entre frères et sœurs, l’éveil à l’amour, à  la sensualité, l’exclusion sociale,  la solitude des  campagnes,  la honte des mains du père,  la révolte et le  syndicalisme des paysans,   l’ennui au collège, la violence du silence, mais tous ces thèmes sont traités en douceur, en souplesse,  incarnés dans des personnages  complexes, dans  de courts récits  souvent d’initiation, le premier voyage, la première rencontre avec les bourgeois, le premier petit boulot…dans des explorations  toujours plus audacieuses, de l’environnement,  du  château, de la petite ville voisine.

Les descriptions de ces bois,  cette campagne, ces rivières, ces maisons ne sont jamais ennuyeuses tant elles sont aiguisées  par le regard curieux et la soif de découvertes et de sensations de Pia.

Difficile de trouver une comparaison tant il est original, peut-être du côté de Franck Bouysse et son superbe Grossir le ciel  ou de Marie-Hélène Laffon  et ses Paysans.

http://www.maryse-vuillermet.fr/

 

 

 

Grazie mille sorella  !

 

 

Ce qui nous ravit dans la voix de Pia, c'est la voix de l'enfance, la petite musique de la voix intérieure qui se saisit de toutes les sensations du monde. Le prodige de cette écriture, son alchimie, c'est de réussir à incarner dans la vie réelle d'un univers dur,  la voix pure d'une subjectivité radicale, plongée dans l'univers rude du travail du monde paysan. C'est de la confrontation charnelle, corps et âme, à cet attachement viscéral, à cet amour et cette tendresse pour cette vie  vécue dans laquelle elle trempe et barbotte dans la boue, la terre et les pierres, les saisons, le foin et la paille qui pique les fesses, la sécheresse, le bruit des tracteurs, l'odeur de la bouse, le patois et le dialecte italien comme une voix venue d'ailleurs, qu'elle s'enrichit de grandir dans tout ce qu'elle accueille avec le même ravissement que la sensation de ses nichons qui poussent dans ses mains comme des oeufs de caille. Bonheur immédiat, souvent drôle, parfois maussade  quand les ordres familiaux tombent et contrarient les désirs. On est lancé dès la première page magnifique, de la poésie brute, à l'état pur. "Joël est là sur le bord de la route... Il nous suit des yeux jusqu'à ce que la camionnette soit mangée par la forêt. Je voudrai qu'il se déplie le bossu... Moi je suis sûr que c'est de la bonté qui dépasse de sa colonne vertébrale, un mystère de roche humaine. Le plancher de la 4L est crevé. On peut voir à travers la route et les limaces écrasées. Je préfère me tourner vers le ciel... A Mila je dis que les étoiles sont des reines et des rois morts qui allument leur âme juste le temps de la nuit..." La voix singulière de Pia s'enrichit de tous ceux qu'elle croise et rencontre et des obstacles qui forgent sa propre expérience, peut-être aussi parce qu'elle a des racines ailleurs, dans le dialecte italien de ses parents et grands-parents et de l'Italie comme le rêve d'un voyage vers un autre monde possible. Un ailleurs musical et poétique qu'elle retrouve à travers les chansons de Valma, sa fugue initiatrice ou les  hasards du pensionnat, un air d'harmonica, la page arrachée d'un  manuel scolaire avec des poèmes de Rimbaud, "le dormeur du val", "les corbeaux", "Ma bohème" où encore le pélican de Desnos trouvé dans la décharge par son père. Tout, absolument tout, ses soeurs et frère, ses amies, la présence discrète de sa mère, des vers recopiés d'Eluard, des petits cailloux de Mila, le gloussement des poules, une chanson italienne de son père,  viennent nourrir  cette éclosion au monde, cet éveil  infini qui sans la mépriser dépasse la vie locale et amorce le recommencement vers une vie nouvelle. 

Henri Brosse 

 

 

Merci Henri !

 

 

01 juin 2015

Mordre la poussière du soir

 

 

 rues brisées des bulldozers
 à la verticale des quartiers
 langage coléoptères des répondeurs
 qui rendent fou au milieu des ténèbres
 et palabres dans les cages d’escalier
 araignées du matin jusqu’au soir
 et s’embrassent dans les sous-sols
 route des filles
 battements de tambour du cœur
 chemin  de nuit en face
 bruits de pas sur le gravier
 mordre la poussière du soir
 quand l’incendie au crépuscule
 brûle leurs lèvres

Henri Brosse

22:35 Écrit par Paola Pigani dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : henri brosse