04 décembre 2015
Au bruit de l'invasion des barbares
Il n'y a pas que les années quarante, le maquis dans les sapins sous le bon pépé Pétain, gris comme en ce temps de mauvais pain. Juges sévères toujours jugeant qui vous croyez seuls à l'abri, n'y aurait-il pas d'autres bêtes fécondes qui vous rongent un peu sous les côtes, et qui seraient à vos couleurs? Ah mitraillettes, bombes, stylos, fières assassins cachés dans la danse des mots, chacun a ses raisons de l'imposer son " Non". Tant de brisés qu'on étouffe dans l'eau sale des seaux. L'avancée dans les souffrances. Le chrétien porte sa croix, l'Allemand l'ombre rouge de l'Histoire qu'on lui pointe entre les yeux. On a ses maudits, on a ses héros. Celui-là son Guevara. Celui-ci son Trotski. Et l'autre son Baudelaire. Autre temps, autres masques noirs, autres cimetières qui se lèvent aux frontières. Que de résistants, que de résistances, que de mortelles transes! Que d'hommes qui se dressent et se mettent en travers! D'entre nous, qui va mourir, qui restera sur la photo?
Chateaubriand, si brillant, un matin rue du Bac l'avait déjà remarqué:" J'écris, comme les derniers Romains, au bruit de l'invasion des Barbares "Etrange: moi aussi, dans mon plus petit réduit.
Jean Perol
16:36 Écrit par Paola Pigani | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : jean perol
15 novembre 2024
Piazza Carlo Alberto
A Turin, j'y étais hier
n'ai vu sur la place Carlo Alberto
que la rose rouge de Franca
et des rafales de pollen à traverser
comme un poète clandestin
à la recherche d'un vieux fou...
Turin
Piazza Carlo Alberto
Les pavés se souviennent-ils encore
Y avait-il d’ailleurs seulement des pavés
Et qu’est-ce qui a reçu
Le 3 janvier 1889
A la station des fiacres
Les genoux vaincus de Nietzsche
Et ses mains qui avaient pitié
Les pavés se souviennent-t-ils encore
Piazza Carlo Alberto
Du cheval battu à mort
Par une brute
Par un idiot
Sous les yeux et l’impuissance de Nietzsche
Et de cette tête de cheval qu’entre ses bras il avait prise
De ses sanglots sur la rosse ensanglantée qui agonise
Douleur incarnée dans la chair de cette carne
Qui la soulève et s’y fiche
Cheval indompté de son apocalypse
De l’abysse noir où il s’enfonça
Nietzsche
Et mourut en compassion à l’esprit
Piazza Carlo Alberto
D’autres imbéciles d’autres cogneurs
D’autres perverses têtes creuses
Dans d’autres lieux sur d’autres places
Ont cru bon de s’en parer
Ont cru bon de s’en emparer
De son nom
De son regard sans mots
Qui transperce toujours et les nuits et les murs
Des amoureux noirs des carnages rouges
Des serveurs haineux des vieux dieux obscurs
« il y aura des guerres
Comme il n’y en a encore jamais eu »
Il dit et ne dit pas
Et dans un désespoir à ne même plus hurler
Son regard les fixe du fond de sa nuit
Du fond de ce trou qui s’ouvrit sous lui
Dans l’engloutissement de l’amour égorgé
Et qu’il en devint fou
Piazza Carlo Alberto.
Jean Pérol . Libre Livre. Edition Gallimard
11:00 Écrit par Paola Pigani dans Des livres, Poésie, Voyage | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : turin, jean pérol, nietzsche