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13 juillet 2012

Maison Natale

 

Maison natale, j’arpente à mon tour ce lieu profond et exigu, ce lieu qui fut mien, ces frontières tremblantes entre l’intime et l’inconnu, ce lieu où rien ne s’efface, où les objets se dédoublent, porteurs de plusieurs vies. Les murs, les meubles qui s’useront à vouloir s’éterniser, qui s’éterniseront à vouloir retenir, alourdir, punir le pas de qui n’ose vivre au delà. Et pourtant… Maison natale où le monde pénètre un jour à la faveur d’un inconnu, voûté au parler épais comme les mogettes confites dans leur jus d’ail et de tomates, qui fera trembler les murs pour la première fois, où le monde pénètre un jour à la faveur d’un orage qui fera pleurer le ciel sous la porte, où le monde pénètre un jour à la faveur d’une première neige, où le seuil enseveli donnera l’illusion d’un tapis volant posé là pour le premier voyage. Maison natale. Peut-être n’est-elle en lieu sûr que dans ma mémoire à présent et pourtant, encore là-bas, encore ailleurs parce que se sont échappées d’elle plusieurs enfances. Elle, la maison sur le sol, la maison sur la terre, la maison sur la France, la maison ouverte un jour à des étrangers sans destin. Qu’a-t-elle porté, qu’a-t-elle embrasé ?Un homme, une femme tenant chacun la poignée d’une malle en bois, quelques draps brodés, des vêtements et  la pauvre étoffe des rêves qu’on ne déclare pas à la douane , le ciel de là-bas, les voix en allées, les moissons futures, les enfants à venir…Maison nerveuse et mouvante, flamme nous léchant le visage et les mains après chaque chagrin, après chaque défaite. Maison vertébrée, maison osseuse et pourtant ventre de la baleine. Maison à tu et à toi avec tous les visiteurs. Maison désordonnée et fébrile comme l’amour. Maison de baraqui, sol de ciment, âpre aux pieds nus des enfants, eau chaude à inventer, carreaux fêlés parfois, murs penchés. Maison fardée de suie et de jasmin à la fenêtre. Maison bossue et bienheureuse. Je ne me revois pas entrer pour la première fois, j’y suis née ou presque. Je n’ai pu qu’en sortir un jour, un instant sur le seuil. L’orage latent, le ciel obscur s’étaient emparés de moi jusqu’au frisson. J’avais sept ans, je me suis assise devant la porte, j’ai attendu, respiré ce dehors qui se révélait soudain non pas comme une délivrance mais une espérance. Ailleurs qui fait trembler les cheveux, les épaules. Ailleurs qui fait tendre les paumes à l’eau du ciel. Et dans le sang, dans la gorge ce lait donné, jamais repris de l’enfance première, de l’enfance derrière, dans le dos, d’où vient la chaleur. Maison  où tout pouvait pénétrer, le vent, le froid, les bêtes, les gens de passage, lumière et misère aussi parfois. Mystérieuse maison fragile de deux siècles. Aucun incendie, aucune tempête pas même celle de 1983, ni celle de 1999, n’auront eu raison d’elle. Elle est restée loyale avec notre mémoire, non pas close, à l’abandon, mais en attente. De loin en loin, nous lui rendons visite, nommons les capucines invisibles sur le muret derrière le puits, la couleur oubliée des volets lavés par les pluies, nous écrasons le nez contre la petite fenêtre, tentons d’apercevoir l’escalier, la cheminée, la peau des murs, le vide, l’enfance nue.


Paola Pigani

 

 

 

13:03 Écrit par Paola Pigani | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cellefrouin, les casternauds

10 juillet 2012

Auguri per mio Padre

 

Te souvient-il de cet exil ?

 

De ce costume acheté à Bruxelles pour ton alliance avec Demain

Cet accordéon dans tes bagages qui s’ouvrait comme un pain

Pour que le chant des tiens bénisse le voyage

Te souvient-il de cette valise si lourde, emplie de linge

Qu’on avait écarté au vent de là-bas avant la traversée

Diras-tu la langue demeurée  aux confins des fatigues

Ces rayons d’amertume pliés dans ton permis de travail :

« Arbeidvergunning »

Cette maison sans eau où la France t’attendait

La patience inventée comme une prière pour

Croire les yeux grands ouverts

Te souvient-il des premiers rires de tes enfants,

Vendangés dans la lumière de l’amour

Te souvient-il de ces heures promises au labeur

Au creux de tes mains souffrantes

Te souvient-il de ta porte ouverte au plus pauvre que toi

Ce vieux Polonais s’écroulant devant l’âtre

Epuisé de mémoire et de misère blanche

Te souvient-il de l’abîme à la banque qui s’ouvrait comme la bouche Du nouveau –né

Ce lait de la peine que tu lui versais, confiant pour un jour repartir

Te souvient-il des saisons aux cordages serrés, de ton cœur oubliant

L’escarpement de la tâche et des forêts où tu allais couper du bois

Pour acheter nos chaussures et gagner la fierté

Ta vaillance pour qu’ici demeure une clairière où

La vie se confonde avec la bonté de la terre et des bêtes

Te souvient-il de cette tempête de 1999

Dévastant tes arbres, te dénudant aussi

Te souvient-il de ce matin de Décembre  où

Tu as vus leurs racines trembler sous la pluie 

Tu as pleuré ces grands gisants, ces horizons amassés

Comme autant de manteaux contre la peur

Te revois-tu planter ces arbres, penser  l’aurore

A pleines mains pour ne plus voir le soleil mourant sur une ligne

De chemin de fer ni le corps de ton frère effacé

Sous le dernier train du soir

Dans ce lendemain d’épaves grotesques

Le sentiment d’exil s’est posé à nouveau sur tes épaules

Renversant ton regard bien au delà de ton bel âge

 

Paola Pigani

13:11 Écrit par Paola Pigani | Lien permanent | Commentaires (0)

Valmy

©PaolaPiganivalmy,lyon

 

 

Valmy

Mai humide et mutique

L’ouvrier cède sa nuque

A la pluie

L’excavatrice remue la ville

Les roses ne disent pas leur nom

Quand elles s’écorchent

Aux grilles

 et tombent

sur les trottoirs

 

Paola Pigani

 

 

11:30 Écrit par Paola Pigani | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : valmy, lyon