07 mars 2017
Un ticket pour la nuit
En mars les nuits sont encore fraiches mais le printemps des poètes dure un peu.
J'ai entre les mains un recueil à couverture noire : Nuit grave le titre est glacé comme un biscuit au café
et je m'offre un ticket pour la nuit
j'enfile une veste, je vais voir ailleurs si j'y suis
il suffit de laisser les choses se faire, d'oublier les berceuses
Dans ce petit opus, il est question de lumière, pas de celle qu'on trouve dans les beaux poèmes remisés en anthologie de poésie française, non, il est question de lumière électrique, notre seul bien commun.
On collectionne les veilleuses
on a peur mais on ne veut pas que ça se sache
même si cela se voit
Entre les murs, il y a la musique, le bruit des autres, des draps sans qualité
un somnambule dans la pièce
et c'est mon frère
Il est aussi question de chacun de nous, d'un tunnel qui cache bien plus qu'un tunnel. Même les rues changent de nom où des chevaux cavalent. Mais rassurez-vous, vous serez riche à l'aurore.
quand sait-on que c'est la nuit?
quand on ne sait plus s'il faut sauver sa peau
ou
s'apprêter à en changer?
quand on plie notre ancienne
peau
qu'on la laisse reposer sur un valet
et que l'on ferme la porte de la chambre
pour empêcher le chat de venir griffer
ce qui pend?
Lisez ou relisez Frédérick Houdaer
Je suis jalouse de ses titres (engeances, engelures, angiomes, pardon my french, fire notice...etc) et je garde certains de ses poèmes comme des tickets de caisse. Je ne les vérifie jamais mais ils attestent de morceaux de vie réelle.
23:08 Écrit par Paola Pigani dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : frédérick houdaer, la boucherie littéraire, nuit grave
06 décembre 2015
Prendre part au banquet
Un vilain poème inédit de Cocteau
Le serveur s'approche de moi
me fait goûter à une solitude dont il me promet
monts et merveilles
bien qu'elle ne soit pas millésimée
je la juge très correcte
j'opine du chef
maintenant
c'est au tour des autres convives de l'apprécier
mais ils ne semblent pas pressés de prendre
part au banquet
Frédérick Houdaer
Fire Notice. Editions Le Pont du Change
16:38 Écrit par Paola Pigani dans Des livres, Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : le pont du change éditions, frederick houdaer
10 septembre 2015
Un bel article critique sur Venus d'ailleurs
Remarquée comme poète et nouvelliste (son recueil « Concertina » aux éditions du Rocher est lauréat du prix Prométhée), Paola Pigania publié assez tardivement son premier roman voilà deux ans, chez Liana Lévi. Bien lui en a pris, puisque « N’ENTRE PAS DANS MON ÂME AVEC TES CHAUSSURES » - ce « roman vrai » de l’internement des Manouches en Charente - a remporté un vrai succès public et critique (ainsi que sept prix littéraires).
Loin de nous offrir un nouveau récit historique et rural, elle nous revient aujourd’hui avec un roman aussi contemporain qu’urbain. Lyon en est – bien plus qu’un décor ou une toile de fond – l’un des personnages principaux. Une cité qui n’a plus grand-chose de commun avec celle décrite par Béraud dans sa « Gerbe d’or », ni même avec celle dépeinte par Belletto dans ses faux polars torturés du début des années 80.
Paola Pigani est la première auteure à parler du Lyon de ce début du XXIème siècle, à nous offrir la vue en coupe d’une « métropole régionale à prétention européenne » en pleine transformation.
Qui est Mirko, le personnage principal de « Venus d’ailleurs » ? Quelqu’un « avec des mains qui travaillent malgré leurs deux doigts manquant » comme il nous apparaît dans la première scène ? Ses collègues se nomment Kevin, José, Moktar ou Coto (pour « Cotorep »). Tous pointent comme intérimaires sur des chantiers (la ville n’en manque pas).
Mirko vient du Kosovo. Tout comme sa sœur Simona. Il est passé « de file humaine en file humaine » jusqu’à arriver entre Rhône et Saône en ces débuts d’années 2000.
« Le passeur travaillait sous un faux nom, Aldo. Presque élégant, presque sympathique, il leur avait proposé différents forfaits, à payer en lires bien sûr. Aldo maîtrisait parfaitement l’italien et le français et il s’adressait à eux en albanais. C’était un frère, disait-il, engagé dans ce business par compassion et conviction. Il parlait trop, sa pomme d’Adam palpitait sans cesse. Simona regardait le cuir de ses chaussures briller comme un mensonge. »
Mirko marche dans Lyon. « Place Bellecour, le roi est seul. Cette image le fait sourire ». Mirko mâche Lyon à chaque foulée. Morceau par morceau. Particulièrement dans « ces zones où les murs écaillés cachent mille messages codés ». Des messages, il en tagguera à son tour.
Quant à sa sœur Simona… Elle « garde les mots en bouche » pour mieux faire sienne la langue française, même quand ces mots sont « niveau de vie moyen, traitement préventif, signe ostentatoire religieux ».
« Elle roule sa voix sur cette nouvelle langue. Elle l’aime. Elle la crache. Elle la chante avec toute la hargne qui l’habite. C’est une histoire tendre et nerveuse qui lui coûte du temps. Simona s’en fiche. »
Des locaux de l’Alliance Française à un bazar discount du quartier de la Guillotière, de la Friperie Mistigriff (où des clientes en viennent aux mains en se traitant mutuellement « d’arabe » ou de « fille de l’est ») au chantier du futur hôpital Mermoz, d’une épicerie Dia à la friche RVI (« au cœur d’un quartier bâtard, sans âme, fendu par l’avenue Lacassagne où s’engouffre toujours un vent sournois »), l’auteure suit ses personnages tout le long d’un véritable jeu de l’oie, sans jamais perdre son lecteur. Jusqu’aux lisières de la ville où « la solitude est presque facile ».
Dans « Venus d’ailleurs », on franchit à l’aube l’enceinte de l’hôpital Edouard-Herriot dont les bâtiments « rappellent ceux de l’Albanie d’Enver Hodja », on récupère du cuivre à la Rize, on picore des sachets de pistaches, on réécrit une lettre de candidature au Monoprix de la rue de la République, on taggue le mur de la prison de Montluc, on perfectionne son français en mémorisant les chansons diffusées par Chérie FM…
Le monde lyonnais que décrit P.Pigani est… le monde. Le monde tout entier déversé entre Saône et Rhône. L’auteure le dépeint, sans angélisme mais avec bienveillance. Pigani aime ses personnages, ce qui ne signifie pas qu’elle les épargne, bien au contraire… Pourtant, on ne relèvera pas chez elle de goût particulier pour le drame – voire de fascination pour la violence - comme c’est le cas de Jacques Audiard dans son dernier film où il est également question du parcours complexe d’un réfugié. Paola Pigani n’a nul besoin de faire couler le sang de ses personnages pour les faire exister.
19:32 Écrit par Paola Pigani dans Des livres | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : venus d'ailleurs, paola pigani, frederick houdaer
23 septembre 2013
Soulever plusieurs mondes à la fois
Un poète s’invite dans le réel .
Combien de siècles avant d’en arriver là ?
Un poète s’avance dans le réel sans héroïsme, où un corps s’emballe, se retrouve, en pièces détachées comme dans:
État des lieux
ma main gauche est devenue
Autre chose
Sûrement pas grâce à l’aide de ma main droite
Qui s’est envolée depuis longtemps
Dans un pépiement indigne d’un cartoon
Ma main gauche s’est suffisamment transformée
Pour
Peser plus que le reste de mon corps
Soulever plusieurs mondes à la fois
Dans la plus grande des banalités
Apparitions disparitions.
La mort serait-elle magique? Ou le petit clic sur l'ordinateur suffirait-il à éliminer quelqu'un de sa mémoire?
On tourne ainsi autour de ce qui risque de nous engloutir, le futur de ses propres enfants, l'au delà où vont frayer les amis, la rue, notre propre faim...,
Ah ! si toutes les couleurs du monde pouvaient nous permettre de décrypter son énigme ! Le Rouge-vert, le Jaune -sang, les Femmes écarlates... et d'atteindre une improbable Place rouge ...
Un vilain poème inédit de Jean Cocteau
Le serveur s’approche de moi
Me fait gouter une solitude dont il me promet
Monts et merveilles
Bien qu’elle ne soit pas millésimée
Je la juge très correcte
J’opine du chef
Maintenant
C’est au tour des autres convives de l’apprécier
Mais ils ne semblent pas pressés de prendre
Part au banquet.
Relire Up date, Jaune sang, la carcasse du Gourou, Jeudi, un vilain poème, l'antépénultième poème...
Croire au poète qui ne ment jamais.
Paola Pigani
07:52 Écrit par Paola Pigani dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : frédérick houdaer, nuel, le pont du change
20 janvier 2013
Favola affidabile
Favola affidabile
Sempre e Mai sono in una barca
Sempre cade in acqua
Mai non ha paura
e si immerge per unirsi
il corrente spinge la barca verso la riva
ormai posso salire dentro
Con fiducia.
Frédérick Houdaer
Engeances.Editions La Passe du vent .
15:17 Écrit par Paola Pigani dans Poésie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : frédérick houdaer, la passe du vent